Philippe Descola : Du pluralisme anthropologique au pluralisme ontologique

Une conférence de Philippe Descola organisée par l’Institut de Philosophie de l’Académie des Sciences et le CEFRES avec la coopération de l’Institut français de Prague.

Lieu : salle de conférence, Jilská 1, Prague 1
Langue : anglais

Résumé (en anglais)

The key concept and methodological tool of Lévi-Straussian structural anthropology is the group of transformation. A structure, understood as a system of contrastive oppositions, only acquires an analytical dynamism thanks to its capacity to organize the transformations between the models of a same group of phenomena. For a structure to be differentiated from a mere system, then, invariant relations must be brought to light between the elements and the relations of different sets so that each of these is connected to another by the means of a transformation. However, there are different ways to conceive a structural transformation in anthropology. The lecture will explore some of them, particularly those used by the lecturer in his book Beyond Nature and Culture (2013), and will build on these results to approach the epistemological consequences of apprehending ontological pluralism as a group of transformation.

Philippe Descola est anthropologue et philosophe, formé à l’École normale supérieure de Saint-Cloud, à l’Université Paris X et à l’EPHE. Il est aujourd’hui directeur d’études à l’EHESS et, depuis 2000, titulaire de la chaire d’Anthropologie de la nature au Collège de France. Il dirige le Laboratoire d’anthropologie sociale (Collège de France,  EHESS, CNRS). Spécialiste de l’anthropologie de la nature, il a notamment collaboré à l’écriture de Nature and Society (Routledge, 1996, traduit en espagnol), coédité avec G. Pálsson, ou encore du Dictionnaire de l’ethnologie et de l’anthropologie (PUF, 1991). Son anthropologie comparative des rapports entre humains et non-humains l’a conduit à publier de nombreux livres majeurs où il cherche à remettre en cause et dépasser l’opposition entre nature et sociétés, par exemple dans Par-delà nature et culture, en 2005.
Pour en savoir plus, voir le site du Collège de France.

Pompiers, orchestres de Tsiganes, cavaliers-paysans, cantines : les sociétés locales post-impériales en Europe du Centre-Est dans le monde des États-nations, 1918-1930

Une conférence de Gábor Egry (Institut d’histoire – Académie hongroise des sciences)

Discutant : Rudolf Kučera (Institut Masaryk – AV ČR)

: Na Florenci 3, bâtiment C, 3e étage, salle de conférence

La fin de la Première Guerre mondiale a conduit à des développements similaires dans toute l’Europe du Centre-Est : l’écroulement des empires et l’émergence d’États-nations. Mais derrière la façade de transformations apparemment uniformes et la tendance à la nationalisation dans les nouveaux États, les sociétés locales et les micro-régions étaient parfois moins limitées dans leur influence sur les conditions spécifiques de transition que ce qu’on considère habituellement dans le cadre du récit dominant sur la chute des empires et la création des États-nations. Le passé impérial n’a pas disparu sans laisser de trace ; de plus, les nouvelles entités agissaient souvent comme de « mini-empires » reprenant ou conservant des acteurs, des méthodes et des structures de la gestion impériale du pouvoir et de la population.

A gypsy band from Sannicolau Mare. Source: romaniainterbelica.memoria.ro
Orchestre tsigane de Sannicolau Mare. Source:
romaniainterbelica.memoria.ro

Comparer des études de cas de la transition au niveau local permet un aperçu des contextes locaux, de la manière dont différentes constellations sociales locales, des préhistoires impériales, ont aidé certains groupes à négocier leur position dans les nouveaux États. Si certaines pratiques, habitudes ou institutions furent maintenues et souvent employées pour coopter les nouvelles élites dans le cercle des anciennes, certaines figures particulières de l’époque impériale parvinrent à se déplacer de manière fluide entre les États successeurs, et des changements sociaux de large portée affectèrent l’équilibre général et conférèrent de l’agency à des groupes jusqu’alors désavantagés. Dans ma conférence, je désignerai les plus importants facteurs régissant les différents types de transition et montrerai comment les individus se sont situés dans le nouveau monde des États-nations.

Les développements dans les études post-soviétiques sur les Juifs soviétiques

Une conférence du Professor Yaacov Ro’i (Université de Tel Aviv)

Lieu : Bibliothèque du CEFRES – Na Florenci 3
Langue : anglais

Le professeur Yaacov Ro’i du Cummings Center for Russian and East European Studies à l’université de Tel Aviv est un grand spécialiste de l’histoire des Juifs en Union soviétique. Ses publications récentes incluent toutefois également des ouvrages sur l’histoire de l’Islam dans l’Union soviétique de l’après-guerre.

La conférence sera suivie d’un atelier au cours duquel Kamil Kijek, Kateřina Čapková et Stephan Stach présenteront leurs projets sur l’histoire des Juifs en Pologne et en Tchécoslovaquie. Leurs textes seront discutés par le professeur Ro’i.

Pour participer à l’atelier, merci d’écrire à  Kateřina Čapková : capkova@usd.cas.cz

Une manifestation co-organisée par l’Institut d’histoire contemporaine de l’Académie des sciences de République tchèque et le CEFRES.

Forme et énergie dans l’œuvre d’Aby Warburg

Une conférence de Lara BONNEAU  (CEFRES & Université Paris I) dans le cadre du séminaire Collegium historiae artium de l’Institut d’Histoire de l’art de l’Académie des sciences de République tchèque.

Lieu : UDÚ AV ČR, Husova 4, Prague 1, salle 117
Langue : anglais

L’œuvre de l’historien de l’art Aby Warburg (1866-1929) s’est élaborée dans un corpus philosophique et théorique souvent négligé. Son esthétique s’inscrivait toutefois dans un projet plus ample : l’élaboration d’une « Psychologie » fondée sur les relations entre les diverses formes symboliques forgées par les hommes. Sa méthode oscille ainsi entre une attention extrême aux détails des œuvres d’art et l’ambition plus large de fonder une « science de la culture ». Mon propos s’attachera à explorer sa notion d’énergie en l’associant à l’usage fait par Warburg du concept de « polarité ». Il s’agira donc de mieux appréhender le rôle des influences philosophiques joué dans le développement de ses travaux.

La sémantique historique dans une perspective transnationale et transdisciplinaire : le cas du « milieu »

Wolf FeuerhahnDans le cadre des Grandes conférences de la Plateforme CEFRES,  Wolf Feuerhahn, chercheur au CNRS, directeur adjoint du Centre Alexandre Koyré et directeur de la Revue d’histoire des sciences humaines, prononcera une conférence sur « La Sémantique historique dans une perspective transnationale et transdisciplinaire » en étudiant le cas du « milieu ».

Langue : anglais.

Lieu : CEFRES, Národní 18, Prague 1, salle de conférence, 7e étage.

L’histoire transdisciplinaire est aujourd’hui un domaine de recherche florissant. Dans les dix dernières années, l’histoire des concepts a été influencée  par ce tournant historiographique. Bien plus qu’auparavant, l’accent est mis sur les problèmes de re-sémantisation transnationale et transculturelle des concepts. L’émergence et le succès de nouvelles expressions comme « travelling concepts » (Mieke Bal) ou « nomadic concepts » (Olivier Christin) témoignent bien de ce changement.

Cette présentation se propose d’aller plus loin en s’appuyant sur l’histoire transnationale du terme « milieu ». Après avoir voyagé de la France à l’Allemagne, de l’histoire littéraire à la biologie et à la sociologie, on en est venu à faire du mot milieu une théorie française. On l’a vu comme l’expression d’une forme de déterminisme, d’un lien entre l’essor des sciences naturelles et celui du socialisme. La grande majorité des chercheurs allemands réfutent cette théorie et le mot Umwelt  a été créé pour s’opposer au terme français. Mais Umwelt  a précisément été retraduit par le terme français « milieu », devenant ainsi l’étendard d’une philosophie anti-déterministe et postmoderne (Deleuze).

À travers cette étude de cas, je voudrais promouvoir ce que j’appellerais une « sémantique transnationale et historique », à l’opposé de l’Histoire des concepts de Koselleck qui distingue a priori les mots et les concepts, et réfléchir sur la façon dont les mots sont sémantiquement affectés par leur trajectoire transnationale et interdisciplinaire.

Présences sociales : propositions pour une approche temporelle et sexuée des interdépendances

Dans le cadre des Grandes conférences de la Plateforme CEFRES,  le sociologue Marc Bessin, directeur de l’IRIS – Institut de Recherche Interdisciplinaire sur les enjeux Sociaux (UMR8156 CNRS – EHESS – U997 Inserm – UP13), donnera une conférence sur les « Présences sociales ».

Langue : en français, traduction simultanée en tchèque.

Lieu : au CEFRES, Národní 18, Prague 1, salle de conférence, 7e étage.

Résumé
Cette conférence s’appuie sur des travaux empiriques sur les prises en charge sanitaires, sociales ou parentales, qui seront rapidement présentées pour alimenter les débats sur les dimensions morales et pratiques des activités de care, en insistant sur les enjeux de sexuation et de temporalisation. On postulera que ces pratiques d’accompagnement n’épargnent pas l’espace académique, qui sera abordé au prisme des tensions temporelles entre l’accélération qui affecte nos pratiques de recherche et la Slow Science à laquelle se réfère la sociologie des présences sociales.
Cette sociologie des présences sociales s’inscrit dans la tradition féministe qui observe la division sexuée du travail de prise en charge des besoins d’autrui. Mais elle intègre aussi les dimensions morales des diverses formes de soutiens, assistances, aides et interventions sociales, dans la tradition des politiques et éthiques du care. Dans cette combinaison, tout en suivant certaines approches en termes d’économies morales qui rappellent que les politiques publiques ou sociales s’opèrent dans une tension entre protéger et punir, la sociologie des présences sociales précise que cette distorsion s’étend aux attentions profanes et aux prises en charges privées et souligne surtout que cette polarité des interventions pour autrui est genrée. Loin de naturaliser la protection maternelle de la main gauche de l’Etat et l’autorité paternelle de ses fonctions régaliennes, c’est une approche temporelle des interdépendances qui permet de comprendre la division sexuée du travail social, sanitaire et sécuritaire. La tendance néolibérale contemporaine à la pénalisation de l’Etat social et sa re-masculinisation est la résultante des renoncements à la temporalisation de l’intervention publique et à la généralisation de l’esprit gestionnaire et de son présentisme, jusque dans les secteurs sanitaire, éducatif et social.
En considérant ainsi la temporalité au principe du genre, suivant en cela la problématisation des rapports sociaux de sexe, on peut dès lors définir les présences sociales comme des activités morales ou pratiques, profanes ou professionnelles, de veille ou d’intervention, sécuritaires ou protectrices, destinées à répondre aux besoins d’autrui. La notion de présence permet d’appréhender le processus au-delà de sa dimension matérielle, en ne se limitant pas à l’action présente ni à une relation dyadique. L’impact des présences sociales peut être différé ou s’inscrire dans des logiques de circulation, de don et de dette. Le genre féminin étant caractérisé par une disponibilité temporelle et la responsabilité de la durée, les activités de care sont féminisées et ce sont les femmes qui sont assignées pour en assurer la transmission.
On pourra enfin tirer les conséquences de ces propositions quant à l’engagement du chercheur sur son terrain et dans le monde académique. Ainsi, loin d’un rapport fondé sur la distance censée produire une connaissance neutre de la réalité sociale, ce sont des présences qu’assument les chercheur-e-s en sciences sociales sur le terrain. Elles sont faites de compassion, d’empathie, d’attentes, d’accompagnement et de soutien qui les engagent dans une relation de care. Celle-ci n’est pas unilatérale et peut s’engager dans la durée, allant vers une co-production de savoirs, voire de la recherche-action. La sociologie du travail de l’espace social où les chercheurs restituent, divulguent et transmettent les recherches issues de ce terrain est également caractérisé par d’autres présences. Le monde académique est tout aussi inégalitaire et traversé par les différents rapports sociaux de domination. Une lecture en termes de présences sociales peut en termes descriptifs mettre au jour le travail invisible et déconsidéré de nombre de ses acteurs, qui sont le plus souvent des actrices. En termes normatifs, parler de présences académiques, assumer les relations de care dans le monde de l’enseignement et la recherche, et ainsi objectiver les interdépendances de ses protagonistes, permet d’envisager d’autres formes de circulation du savoir, en prenant soin cependant d’y observer la perpétuation des rapports de pouvoir.
Quoi qu’il en soit, cette attention aux présences académiques impose de s’interroger sur l’esprit gestionnaire qui affecte l’univers de l’enseignement supérieur et de la recherche, se traduisant par une stigmatisation importante du temps long de nos activités et de sa dimension collective. Comment résister à ces tendances fortes tout en ne traduisant pas cette posture par un retrait du chercheur dans sa Tour d’Ivoire ? La sociologie des présences sociales entend contribuer à réfléchir à ces enjeux cruciaux pour les sciences sociales.