Cette conférence internationale est organisée par les départements de Littérature tchèque et comparée et de Philosophie et Sciences religieuses (Faculté des lettres, Université Charles – FF UK), le CEFRES et l’Institut de philosophie de l’Académie slovaque des sciences (FLU SAV), ainsique le Centre d’éthique des technologies et de l’environnement (CETE-P, Académie tchèque des sciences).
Date limite de dépôt des candidatures: 31 octobre 2025
Dates de la conférence : les 12 & 13 mars 2026
Lieu : Faculté des Lettres de l’Université Charles & CEFRES, Prague
Langue : anglais (le slovaque et le tchèque seront également acceptés)
Conférencier.ère.s invité.e.s :
Jack Halberstam (Université de Columbia),
Bogdan Popa (Université de Transylvanie)
Hélène Giannecchini (à confirmer)
Coordinateur.rice.s : Michaela Rumpíková, Mateusz Chmurski, Josef Šebek, Iwona Janicka, Alžbeta Kuchtová, Eva Voldřichová-Beránková
Comité scientifique : À préciser ultérieurement
Dans son ouvrage Ce qui fait une vie : essai sur la violence, la guerre et le deuil, Judith Butler cherche à repenser « le caractère complexe et fragile du lien social et de considérer quelles conditions pourraient rendre la violence moins possible, les vies plus également sujettes au deuil et, ainsi, plus vivables » (2010 : 1). Avec les multiples conflits idéologiques et tensions majeures auxquels on fait face dans notre monde contemporain, le projet de Butler demeure toujours d’actualité. Tandis que les gouvernements tchèque et slovaque refusent de reconnaître la Convention d’Istanbul, ailleurs en Europe centrale, on peut également observer des tensions sous-jacentes concernant les droits des personnes LGBTQI+ et d’autres minorités. Ainsi, au lieu de limiter la propagation de la haine et du ressentiment, ce qui devrait être l’un des objectifs de la démocratie et de sa résilience, le nationalisme républicain – fondé sur des discours que l’on pourrait idéologiquement caractériser d’ « anti-woke » – ne fait qu’accentuer les politiques basées sur les principes de la différenciation et de l’exclusion, et contribue par conséquent à la violence entretenue envers les groupes déjà marginalisés. Ces conflits sont alimentés par ce que Butler appelle « l’idéologie anti-genre » à « tendance fasciste » (Butler 2024). De même apparaissent ce qu’on pourrait nommer des « récits de conflit préfabriqués » fondés, eux aussi, sur des tendances nationalistes, complotistes et phobiques. Or ces récits fictifs, tout en prétendant promouvoir la paix et la non-violence, ne conduisent-ils pas en fin de compte à des guerres réelles ? En fragmentant et divisant le monde, les conflits verbeux des classes politiques soulèvent des guerres physiques et idéologiques. D’où plusieurs questions : comment pouvons-nous mettre en place une politique de la non-violence et de la responsabilité éthique si, dans nos structures sociales, la différence et l’altérité sont constamment exploitées comme des problèmes par les discours politiciens majoritaires (de l’extrême droite jusqu’à la gauche centriste) ? Dans quelles conditions pouvons-nous repenser la relation et la reconnaissance réciproque si les systèmes politiques visent uniquement la reproduction d’un ensemble de frontières normatives et normativisantes ?
La conférence « Matérialité queer : devenir-relations » est motivée par l’idée dynamique de produire de l’imprévu et de jouer avec le hasard à travers l’acte de dépassement de la fixité. Bien que toute rupture soit souvent accompagnée de sentiments d’aliénation, elle peut être repensée de manière positive et créative. Paul B. Preciado écrit : « Rayer la carte, effacer le prénom, proposer d’autres cartes et d’autres prénoms dont la nature fictionnelle, imaginée collectivement, est évidente. Des fictions qui pourraient nous permettre de fabriquer des pratiques de liberté » (Preciado 2019 : 103). Pour le philosophe, devenir trans implique un geste de rupture, comme une forme du « non-devenir ». Jack Halberstam comprend ce concept de non-devenir (unbecoming) comme « des manières d’être dans le monde plus créatives, plus coopératives, plus surprenantes » (Halberstam 2011 : 2-3). Cela renvoie à un moment de déstabilisation où l’on est plongé dans l’imprévu. Cette odyssée chaotique permet à nos corps d’interagir activement avec la spatialité, les cadres temporels et l’environnement pour explorer des manières plus « matérielles » d’être au monde et entrer dans le processus constant de devenir-autre (Deleuze, Guattari 1987 : 44). C’est précisément à ces moments que de nouvelles potentialités, voire des « possibilités de reconfigurations mondiales » (Barad 2012 : 55) peuvent émerger ; tout en nous invitant à interagir avec « les formes complexes et désordonnées de prolifération organique » (Halberstam 2011 : 10). Un tel terrain peut être glissant, voire imprévisible, mais non pas sans intérêt. Tandis que les frontières se dissolvent, les lignes disparaissent et des processus d’alignement peuvent émerger, dont l’effet général serait étrange ou même queer (Ahmed 2006).
Ce processus suppose un voyage complexe où de multiples formes interagissent et engendrent des enchevêtrements multi-espèce. La matière n’implique pas seulement une dimension corporelle mais aussi une dimension mondiale ; le monde et le corps sont repensés ensemble. Dans cette perspective, penser le concept de « matérialité queer » en lien avec le « devenir-relations » implique également de franchir la frontière entre l’humain et le plus-qu’humain. Devenir-queer ne devrait pas signifier uniquement le devenir queer des humains, en effet, ce procès nous invite également à repenser nos rapports aux plus-qu’humains. La question se pose : Comment pourrions-nous donc dépasser – et non pas seulement théoriquement – ces multiples couches de différence et ainsi devenir-relations à partir du concept queer ? Comme le soutient Devalena Das en référence à Karen Barad : « la queerness est une ouverture radicale, une indétermination et une ouverture des organismes en mutation qui se replient dans de multiples formes, plutôt que de laisser les logiques culturelles dominantes de la normalité s’imposer » (Das 2024 : 3).
Les disciplines telles que la littérature, les arts et la philosophie proposent multiples méthodes conceptuelles et esthétiques qui nous permettent de repenser la métaphysique occidentale, d’aller au-delà de nos différences, tout en proposant une redéfinition du concept de matière. « Faites des parents, pas des enfants », écrit Haraway (2016 : 164) ; « Créez des liens, pas des frontières », suggère Preciado. Nous vous invitons à faire partie d’un dialogue dynamique autour de ce que nous appelons « devenir-relations » et ce que Haraway pourrait considérer comme sympoïèse, qui se traduit par une pratique du « faire-avec » (Haraway 2016 : 60). Ces notions sont centrées autour de l’entrelacement et de la réciprocité, nécessitant à la fois une reconnaissance mutuelle et une forme de responsabilité. Devenir-avec, écrire-avec, penser-avec : tels sont nos objectifs principaux qui visent ce que nous pourrions appeler des processus de constitution de la non-violence.
Cette conférence envisage d’aborder les questions suivantes : Comment la différence peut-elle être (ré)écrite, (dé)construite et (ré)inventée positivement au travers du concept « queer » ? Comment le concept de queer nous permet-il de repenser, réimaginer et déstabiliser les différences ? Quelles formes d’alliances (et de ruptures) sont générées par le processus qui consiste à « queeriser » la matière ? Quelles sont les conséquences matérielles des rencontres, et quelles reconfigurations se forment à travers ces interactions ? Comment la nouvelle éthique relationnelle queer est-elle mobilisée, et comment peut-elle contribuer à résoudre des conflits et donc à renforcer nos pratiques et nos politiques de résilience ?
Nous acceptons des propositions en lien avec les axes suivants, qui sont nullement exclusifs :
- La matérialité et le genre. Queer et « queeriser » : le concept et le procès
Devenir-queer est un procès qui renonce aux lois binaires et à leur épistémologie. Imaginer et construire une telle pratique exige d’abandonner les normes identitaires et de s’engager dans une multiplicité. Le processus qui consiste à « queeriser » peut être décrit comme une expérimentation qui, tout en décentrant la pensée essentialiste, propose de nouvelles possibilités de relationnalité. Que devient la matière lorsqu’elle est « queer » ? Comment articuler le concept de queer, le genre et la matérialité tout en se référant aux corps et à leurs relations ? Comment le concept de queer émerge-t-il d’un état de crise face à la binarité ? En quoi le processus du devenir-queer redéfinit-il l’appartenance, l’alliance et la différence ? Quels types de nouvelles relationalités peuvent surgir de ce processus ? - La matière queer et l’écologie : rencontres imprévisibles avec les autres multiples
Comment le concept de queer pourrait-il s’appliquer aux entités autres-qu’humaines ? Le concept de queer anthropomorphique peut-il être utilisé pour décrire la matière ? Peut-être cela implique-t-il que le concept de queer devrait être redéfini au travers de la critique non-anthropocentrique ? Quels défis (esthétiques, conceptuels) cela soulève-t-il ? Les entités autre-qu’humaines peuvent-elles avoir des « corps » ? Comment définir le corps si nous déconstruisons la distinction entre l’humain et l’autre-qu’humain ? Quels dispositifs esthétiques, conceptuels et méthodologiques nous permettent-ils de « traduire » des systèmes écopoétiques queers ? La fiction, à côté de la science, est-elle l’un des outils possibles pour imaginer ces rencontres et reconfigurer ainsi notre sensibilité et notre perception ? Quels principes « sympoïétiques » peut-on employer et quels effets sont-ils produits ? - La matérialité et la race : la queerness décoloniale
En cherchant une contreposition aux logiques eurocentriques, le nouveau matérialisme et l’ontologie orientée objet ont été critiqués par des chercheur.euse.s d’origines indigènes d’avoir soutenu « le projet colonial de l’ontologie occidentale », qui puise dans des concepts indigènes sans les reconnaître en tant que tels. Cependant, ce débat n’est pas seulement théorique ; il concerne le capitalisme colonial, ou ce que l’on appelle « le capitalisme extractiviste », qui continue d’exploiter les territoires des régions marginalisées du monde aujourd’hui. Comment décoloniser la pensée écologique à partir de la perspective queer ? Quels potentiels ce croisement entre le « queer » et la perspective décoloniale offre-t-il ? Quelles formes de pensée/écriture/création la perspective décoloniale-queer propose-t-elle ? Que peut signifier le concept de queer dans les contextes postcoloniaux, mais aussi dans d’autres contextes culturels post-soviétiques ou de l’Europe centrale, et quels autres concepts alternatifs pourrions-nous utiliser ? Quelle critique de l’universalisme la notion de queer implique-t-elle ? - Impacts matériels : stratégies politiques queers du moment
Quelles stratégies pourrions-nous mettre en œuvre pour traiter des enjeux politiques actuels ? Quelles possibilités d’engagement politique la théorie queer offre-t-elle aujourd’hui ? Comment la théorie queer interroge-t-elle et défie-t-elle la politique des identités ? Comment le concept de queer peut-il empêcher les politiques d’identité exclusives au sein des communautés LGBTQI+ ? Une coalition plus large est-elle possible pour reconfigurer l’intersectionnalité entre le queer et la classe, la race, la nation et l’ethnicité ? Comment la politique queer peut-elle nous aider à éviter des projets idéologiques tels que l’homonationalisme ou le pinkwashing ?
Veuillez envoyer un résumé détaillé en anglais de 300 à 600 mots ainsi qu’une brève biographie à l’adresse suivante : queermateriality@gmail.com.
Les propositions doivent être soumises au plus tard le 31 octobre 2025.
Bibliographie indicative
- Ahmed, Sara, Queer Phenomenology: Orientations, Objects, Others, Durham, Duke University Press, 2006.
- Bourcier, Sam, Sexpolitiques. Queer zones, Paris, Éditions Amsterdam, 2018.
- Butler, Judith, Who’s Afraid of Gender?, Toronto, Ontario, Random House, 2025.
- Bradway, Tyler, Freeman, Elizabeth (ed.), Queer Kinship. Race, Sex, Belonging, Form, Durham, Duke University Press, 2022.
- Bogdan Popa, De-centering Queer Theory. Communist Sexuality in the Flow During and After Cold War, Manchester University Press, 2021.
- Gang, Mary N., Towards the Queerest Insurrection, London, Pattern Books, 2021.
- Ghaziani, Amin, Imagining Queer Methods, New York, New York University Press, 2019.
- Gill, Rosalind et Christina Scharff, New Feminities: Postfeminism, Neoliberalism and Subjectivity, London, Macmillan, 2011.
- Halberstam, Jack, The Queer Art of Failure, New York, Duke University Press, 2011.
- Halberstam, Jack, José Esteban Muñoz, David L. Eng (ed.), What′s Queer about Queer Studies Now?, New York, Duke University Press, 2005.
- Mortimer-Sandilands, Catriona, and Bruce Erickson, Queer Ecologies: Sex, Nature, Politics, Desire, Bloomington: Indiana University Press, 2010.
- Muñoz, José Esteban. « Theorizing Queer Inhumanisms: The Sense of Brownness. » GLQ: A Journal of Lesbian and Gay Studies 21.2 (2015): 209-210.
- Preciado, Paul B., Un Appartement sur Uranus, Paris, Points, 2021.
- Puar, Jasbir K., Terrorist Assemblages: Homonationalism in Queer Times, Durham: Duke University Press, 2017.
- Todd, Zoe. « An Indigenous Feminist’s Take on the Ontological Turn: ‘Ontology’ is Just Another Word for Colonialism. » Journal of historical sociology 29.1 (2016): 4-22.
- Sedgwick, Eve K., Touching Feeling: Affect, Pedagogy, Performativity, Durham, Duke University Press, 2003.
- Zappino, Frederico, Communisme queer, Pour une subversion de l’hétérosexualité, Paris, Éditions Syllepse, 2022.