Planifier à partir de l’avenir. La prévision démographique comme instrument scientifique de contrôle de la population
7e session 2022 du Séminaire du CEFRES
Date : mercredi 11 mai 2022, 16h30-18h30
Lieu : CEFRES et en ligne (pour vous inscrire, écrivez à l’adresse : claire(@)cefres.cz)
Langue : anglais
Avec : Nikola Ludlová (CEFRES)
Résumé
Les prévisions concernant la taille et les autres caractéristiques démographiques des populations humaines à des dates précises ont joué un rôle important dans l’élaboration des politiques démographiques. L’intérêt pour la prévision du développement futur dans le cadre de la gouvernance de l’État remonte à l’Antiquité mais la prévision démographique moderne en tant qu’entreprise scientifique est apparue avec la constitution des statistiques et de la démographie en tant que disciplines scientifiques au cours du XIXe siècle.
La présentation introduira l’histoire plus large de la prévision dans le contexte de la guerre froide et se concentrera ensuite sur son instrumentalisation dans le cadre de la politique démographique et de la « question tsigane » en Tchécoslovaquie socialiste. Les prévisions démographiques concernant les Roms sont inextricablement liées aux débats des années 1960 sur la quantité et la qualité de la population dans les sciences économiques et sociales, et à la politique ultérieure de pro-natalisme sélectif et de contrôle des naissances mise en œuvre respectivement depuis la fin des années 1960 et le début des années 1970. Ces données, ainsi que d’autres caractéristiques démographiques de la population rom, sont devenues des sources de comparaisons constantes des Roms avec la population du tiers-monde, et ont implicitement situé la question tsigane dans le discours global sur le développement tournant autour de la question du retard et de l’explosion démographique. Les Roms constituaient ainsi un obstacle majeur au projet de modernisation socialiste et une entrave à la compétition de la guerre froide. Ces projections ont évidemment servi à légitimer le contrôle des naissances, mais elles peuvent également être lues comme un document sur les limites du contrôle et de la planification de l’État, apportant des données qui remettaient en question le récit officiel de l’avenir dont la vision était strictement déterminée par les principes idéologiques.
Les prévisions peuvent donc être interprétées comme une épée politique à double tranchant, mettant en évidence l’action du peuple, en particulier dans le domaine de la reproduction, et son effet sur le projet socialiste d’homogénéisation sociale, politique, économique et culturelle. Cette reconstruction de l’histoire des prévisions démographiques dans le contexte plus large du tournant technocratique vise à élucider certains aspects de la gouvernance socialiste tchécoslovaque après le début de la normalisation : comment concilier le conflit entre l’agence et la subjectivité des citoyens et la culture des identités, normes et pratiques collectives, en fait entre la participation volontaire et forcée.