Les normes de l’écriture scientifique en discussion

Dates et lieu : 23-24 mai 2018, Prague
Date-limite d’envoi des propositions : 2 avril 2018
Organisateur : Julien Wacquez (EHESS, CESPRA, CEFRES)
Organisations partenaires: CEFRES, Institut de philosophie de l’Académie tchèque des sciences, EHESS, Université Charles
Langue : anglais

La journée est ouverte à des jeunes chercheurs (doctorat et post-doctorat) issus de diverses disciplines anglophones de France et des pays de Višegrad ainsi qu’à l’équipe du CEFRES. Merci d’envoyer votre proposition de communication assortie d’un titre (environ 300 mots) et un bref CV à Julien Wacquez : julien.wacquez@cefres.cz

Notre atelier se déroulera en deux jours :

Le 23 mai 2018 des chercheurs et des jeunes chercheurs de France et des pays de Visegrád présenteront leurs travaux et échangeront leurs perspectives sur la façon dont ces débats et ces prises de position transforment les normes de l’écriture scientifique ainsi que les manières de faire science.

Le 24 mai 2018 au matin les participants seront invités à partager leurs propres pratiques d’écriture, les problèmes qu’ils rencontrent au cours de cette écriture et la façon dont ils les résolvent.

Conférenciers confirmés : Jean-Louis Fabiani (EHESS, CESPRA – CEU, Budapest) et Jan Balon (FLÚ AV ČR)

Comité scientifique

  • Jan Balon (Institut de philosophie, Académie tchèque des sciences)
  • Jean-Louis Fabiani (EHESS, CESPRA – CEU, Budapest)
  • Jan Maršálek (Institut de philosophie, Académie tchèque des sciences)
  • Clara Royer (CEFRES)
  • Julien Wacquez (EHESS, CESPRA – CEFRES)

Argumentaire

En sciences sociales, des chercheurs issus de diverses disciplines s’interrogent sur les limites de l’écriture scientifique. En soulignant leur qualité de lecteurs de science et de littérature, ils témoignent d’un trouble quant à l’efficacité et à la pertinence de leur propre écriture et de celle de leurs pairs. Ce trouble les a amenés à exprimer des jugements de valeur sur les qualités de l’écriture scientifique, ses fonctions, ses effets, ses avantages et ses inconvénients. Il les a ainsi poussés à opérer et justifier des choix d’écriture qui rompent avec les normes généralement admises dans leur discipline, suscitant de nombreux débats.

Rappelons que d’aucuns ont insisté sur la dimension narrative de tout texte scientifique, relativisant par-là même l’ambition scientifique de description exhaustive du réel (Greimas 1976 ; Latour & Woolgar 1979 ; White 1973 et 1980). D’autres ont traité le texte ethnographique comme une fiction littéraire et apporté un regard critique sur l’illusion de neutralité du langage : illusion selon laquelle ce dernier ne serait qu’un instrument technique capable de véhiculer des états de fait (Geertz 1973 ; Clifford & Marcus 1986 ; Adam et al. 1990). Des chercheurs ont prêté des qualités scientifiques à certaines œuvres littéraires (en sociologie, voir Dubois, 1997 et 2007 ; Bidou-Zachariasen 1997). Plusieurs études ont montré la valeur heuristique de l’usage scientifique des procédés fictionnels (Debaene 2010 ; Aït-Touati 2011). D’autres enfin n’hésitent pas à exprimer leur désarroi lorsque, par exemple, des textes littéraires leur semblent plus « convaincants et pertinents » que des textes scientifiques jugés « moyens » et « décalés » par rapport à la réalité (Bensa & Pouillon 2012).

L’une des questions entêtantes de ce corpus d’études est celle de l’ancrage référentiel, qui remet en question le statut et la crédibilité du texte scientifique. Les discussions qui sous-tendent ces travaux se polarisent sur des enjeux de catégorisation (entre le scientifique et le littéraire, entre le réel et le fictionnel) et de représentation (révélant le souci des chercheurs à ne pas se contenter d’un « faire vrai », mais bien à exprimer « le vrai »).

Aussi des chercheurs ont-ils appelé de leurs vœux soit une forme de littérarité ou de narrativité dans l’écriture scientifique de l’histoire (White 1992, Jablonka 2014), de la sociologie (Laé 2016), de l’anthropologie (Tsao 2011) et de la philosophie (Cassou-Noguès 2010) ; soit une collaboration entre science et littérature (Descombes 1987, Macé 2016). En réaction à certaines de ces positions, des critiques se font jour, soit pour insister sur la nécessité d’un « style scientifique » distinct d’une écriture littéraire, soit pour rappeler les différences méthodologiques et scripturales qui existent entre les enquêtes menées par les écrivains et celles menées par les scientifiques (Ginzburg 1992, Céfaï 2014, Schaeffer 2016).

Ces débats sur les formes de l’écriture scientifique seront au cœur de notre atelier. Notre but est d’explorer ces expérimentations scripturales et d’étudier la façon dont elles expriment, problématisent, justifient et/ou renégocient les normes d’écriture qui semblent généralement acceptées dans chaque discipline.

Par-là, il ne s’agit pas d’adopter une attitude normative qui déciderait des techniques scripturales jugées plus aptes à faire science et à dire vrai. Les participants sont invités au contraire à adopter une démarche interdisciplinaire afin d’observer quelles qualités ces travaux prêtent à la littérature, à l’écriture scientifique et à la production de connaissance, et, finalement, de mieux comprendre quelles sont les différentes conceptions du « réalisme scientifique » et du « réalisme littéraire » qui circulent au sein des sciences sociales (Boltanski 2012). Comment ces travaux, prenant explicitement position quant aux « bonnes » et aux « mauvaises » manières d’écrire, entendent-ils faire sens et produire des connaissances ? Comment cherchent-ils à convaincre leurs lecteurs ?

Afin de travailler ces questions, les communications que nous souhaitons réunir pourront aborder le corpus selon différentes approches, parmi lesquelles :

  • en adoptant un point de vue socio-historique se focalisant sur l’identification des chercheurs qui prennent part à ces débats ; aux éditeurs qui les publient ; à la position de ces acteurs dans l’espace académique et à leur parcours ; à la façon dont ces débats apparaissent et s’informent d’une discipline à l’autre ; des lignées dans lesquelles ils s’inscrivent ;
  • en croisant les apports de la sémantique textuelle et de la sociologie, en s’intéressant à la composition des textes de ces chercheurs et à la façon dont ils se donnent à lire ; aux savoirs qu’ils entendent produire ; aux procédures de mise en récit qui les constituent ; à l’intertextualité liée aux citations, aux jeux de références et à la reprise de thèmes communs à d’autres textes ; à la façon dont ces textes partagent l’espace de la page avec des éléments non textuels et conduisent l’attention des lecteurs ;
  • en s’interrogeant sur l’écriture en tant que pratique, avec ses phases de relecture, correction, réécriture et de discussions avec les pairs, l’éditeur ou le comité de revue, qui révèlent la façon dont les normes d’écriture peuvent être explicitées et renégociées in situ.

Illustration : Edgar Degas, Portrait d’Edmond Duranty (1879)

Bibliographie indicative

  • 2017, Teorie Vedy: Literary Technologies of Science, vol. 39, No. 1.
  • 2012, Teorie Vedy: Literary Technologies of Science, vol. 34, No. 3.
  • ADAM Jean-Michel, BOREL Marie-Jeanne, CALAME Claude, KILANI Mondher 1990 : Le Discours anthropologique, Paris, Méridien, Klincksieck.
  • AÏT-TOUATI Frédérique 2011 : Contes de la Lune, Paris, Gallimard, nrf essais.
  • BALON Jan (dir.) 2017 : Literary Technologies of Science, numéro spécial de Teorie Vĕdy, vol. 39, n° 1.
  • BAZERMAN Charles 1988: Shaping Written Knowledge, Madison, The University of Wisconsin Press.
  • BENSA Alban & POUILLON François (dir.) 2012 : Terrains d’écrivains, Toulouse, Anarchasis, coll. Essais.
  • BIDOU-ZACHARIASEN Catherine 1997 : Proust sociologue, Paris, Descartes et Cie, coll. Essais.
  • BOLTANSKI Luc 2012 : Énigmes et Complots, Paris, Gallimard, collection nrf.
  • CASSOU-NOGUÈS Pierre 2010 : Mon Zombie et moi. La philosophie comme fiction, Paris, Seuil, coll. L’Ordre Philosophique.
  • CHARTIER Roger 1996 : On the Edge of the Cliff: History, Language and Practices, The John Hopkins University Press.
  • CÉFAÏ Daniel 2014 : « L’Enquête ethnographique comme écriture, l’écriture ethnographique comme enquête », in Melliti Imed (dir.), Écrire en sciences sociales.
  • CLIFFORD James & MARCUS E. George (eds.) 1986: Writing Culture, Berkeley, University of Berkeley Press.
  • DEBAENE Vincent 2010 : L’Adieu au voyage, Paris, Gallimard, coll. Bibliothèque des sciences humaines.
  • DECOMBES Vincent 1987 : Proust : Philosophie du roman, Paris, Minuits, coll. Critique.
  • DUBOIS Jacques 1997 : Pour Albertine : Proust et le sens du social, Paris, Seuil, coll. « Liber ».
  • DUBOIS, Jacques 2007 : Stendhal : Une Sociologie romanesque, Paris, La Découverte, coll. Texte à l’appui.
  • FABIANI Jean-Louis 2015 : La Sociologie comme elle s’écrit, Paris, EHESS, coll. Cas de Figure.
  • FRIEDLÄNDER Saul (dir.) 1992 : Probing the Limits of Representation: Nazism and the “Final Solution”, Cambridge, Harvard University Press.
  • GREIMAS Algirdas J. 1976 : Sémiotique et science sociale, Seuil.
  • JABLONKA Ivan 2014 : L’Histoire est une littérature contemporaine, Paris, Seuil.
  • LAÉ Jean-François 2016 : « Ferme ta caisse », Récit publié dans Sociologie et Sociétés, numéro : Sociologie narrative : le pouvoir du récit, Montréal, Volume 48, numéro 2, automne.
  • LATOUR Bruno & WOOLGAR Steve 1979: Laboratory Life, Sage Publication.
  • LORIGA Sabina 2010 : Le Petit X. De la biographie à l’histoire, Paris, Le Seuil.
  • SCHAEFFER Jean-Marie 2016 : « Langue, récit, vérité et fiction. Quelques réflexions sur le tournant linguistique en sciences sociales », in Antoine Lilti, Sabina Loriga, Jean-Frédéric Schaub et Silvia Sebastiani (dir.), L’Expérience historiographique. Autour de Jacques Revel, Paris, Éditions de l’EHESS, pp. 221-236.
  • TSAO Eugenia 2011: “Walking the Walk: On the epistemological merits of literary ethnography”, Anthropology and Humanism, 36, (2), pp. 178-192.
  • WHITE Hayden 1973: Metahistory, The John Hopkins University Press.
  • WHITE Hayden 1980: “The Value of Narrativity in the Representation of Reality”, in Critical Inquiry, Vol. 7, No. 1, On Narrative, pp. 5-27.