Masculinité(s) centre-européenne(s)

Masculinité(s) centre-européenne(s) : perspectives comparées

Un projet développé par l’Institut d’études littéraires de l’Université de Silésie à Katowice (IL WNH UŚ), l’Institut de littérature tchèque et comparée de la Faculté des arts de l’Université Charles (ÚČLK FF UK), l’Institut de littérature tchèque de l’Académie tchèque des sciences (ÚČL AV ČR), l’Institut de littérature polonaise de la Faculté d’études polonaises de l’Université de Varsovie (IKP WP UW), l’Institut de littérature slovaque de l’Académie slovaque des sciences (ÚSL SAV), le Centre d’études en sciences sociales – Institut de sociologie (HUN-REN TK SZI), le Centre français de recherche en sciences sociales de Prague (CEFRES, CNRS-MEAE) et soutenu par le Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche dans le cadre du programme PARCECO.

Date et lieu : les 19 et 20 juin 2024 au CEFRES, Na Florenci 3, Prague 1 et les 14 et 15 novembre 2024 à l’Université de Silésie, Katowice, Pologne
Langue : français, anglais
Comité organisationnel
: Wojciech Śmieja (IL WNH UŚ), Mateusz Chmurski (CEFRES/Sorbonne), Iwona Kurz (IKP WP UW), Richard Müller (ÚČL AV ČR), Josef Šebek (ÚČLK FF UK), Ivana Taranenková (ÚSL SAV)

Résumé

Sous-discipline des études de genre, les études critiques sur les masculinités (CSMM, masculinity studies) se développent dans le monde depuis au moins plus de trente ans ; depuis plus de vingt ans, leur champ est de plus en plus délimité : les institutions (revues, sociétés scientifiques, conférences régulières) et, surtout, les hiérarchies académiques ont été plus ou moins formalisées ce dont témoigne notamment la naissance de deux revues spécialisées dans le domaine (Men & Masculinities aux États-Unis et NORMA. International Journal for Masculinity Studies en Europe).

En raison de la nature même des questions abordées, les études sur les masculinités sont intrinsèquement interdisciplinaire, puisant à parts égales dans les sciences humaines et sociales (Kimmel, 2017). En effet, leur potentiel déconstructif découle du fait que les études sur les masculinités décentralisent la transparence privilégiée de la doxa – la « domination masculine » (Bourdieu, 1998) cesse « être une évidence, et la construction de la masculinité et de sa relation au patriarcat perd sa transparence et sa naturalité, la « masculinité », « l’homme » et le « patriarcat » n’étant plus des catégories strictement symétriques et anhistoriques. Aussi, tout comme le féminisme ou la pensée queer, les études sur les masculinités peuvent susciter réticence, méfiance ou hostilité institutionnelle. Subversives par nature, elles provoquent, sont (et doivent rester controversées), mais constituent également la clôture d’un vaste
projet émancipateur en sciences sociales et humaines et, à ce titre, doivent être poursuivies.

En effet, à une époque autoritarismes omniprésents construits autour de figures d’« hommes forts » (Trump, Poutine…), le besoin de comprendre le phénomène de la « masculinité » et les dynamiques qui la façonnent se fait sentir : les études sur les masculinités y répondent tout en permettant une appréciation
culturelle des masculinités bienveillantes, inclusives et partenariales. Les nouvelles manières d’évoquer la masculinité peuvent ainsi être également un facteur immunisation contre les discours sur la masculinité « dure » et « biologique », ainsi que s’opposer au langage religieux qui fait de la masculinité un phénomène transhistorique et transculturel d’origine métaphysique. A ce titre, les études sur les masculinités se positionnent de nouveau, et sans équivoque, du côté des humanités engagées.

Dans la recherche francophone, ces enjeux puisent leurs racines dans les travaux du féminisme matérialiste des années 1970. Depuis les années 2000, il est possible d’y distinguer deux tendances principales : celle de percevoir les hommes dans ce même sillage par le prisme de la domination (Rivoal, 2017), ou bien d’associer la masculinité à une identité virile (Corbin, Courtine, Vigarello, 2011). Or, ces distinctions fondamentales entre les sciences humaines et sociales concernés permettent de voir l’importance d’ouverture conceptuelle de ce nouveau champ d’étude mais aussi le besoin de faire dialoguer les connaissances produites localement avec la recherche mondiale, afin de rafraîchir constamment le langage de la nouvelle discipline par le biais de
ces échanges.

Malgré des avancées considérables dans la production scientifique de la région (Śmieja, 2016 ; Kaliściak, 2017 ; Dziadek, Mazurkiewicz 2018), les masculinités de l’Europe centrale et orientale demeurent peu présentes dans le champ de recherche mondial, et quasi absentes de la réflexion en France (dans la première anthologie des études sur les Masculinités en jeu, la région reste inexplorée : Taylor, Voorhes, 2018). La question de l’enchevêtrement des masculinités dans l’imaginaire culturel des pays d’Europe centrale et orientale semble donc un terrain naturel pour observer le dialogue entre les débats occidentaux et les modèles de masculinité produits dans d’autres centres de pouvoir.

Il s’agit en particulier d’interroger sous cet angle la modernité littéraire dont le caractère « masculin » a été souligné à plusieurs reprises (Bermann, 1982 ; Felski, 1995 ; Thomas, 1998), associé au capitalisme et à la domination de classe de la bourgeoisie (Sussman, 1995). Les processus de modernisation de la fin du XIXe siècle présupposent aussi que la « masculinisation » est une condition sine qua non des renaissances nationales (les structures sociales anachroniques étaient souvent interprétées comme le résultat d’une position faible ou inappropriée de la masculinité au sein d’une culture donnée). Par conséquent, en Europe centrale et orientaler le rétablissement de la possibilité structurelle de construire une hégémonie masculine au niveau national dans les États renaissants sur les ruines de l’empire Austro-Hongrois après 1918 notamment (Pologne, Tchécoslovaquie, « nouvelle » Hongrie, Yougoslavie, etc.) a été contrebalancé par l’émancipation des femmes, l’émergence de l’homosexualité dans le domaine de la visibilité sociale et les projets masculinistes « forts » voisins (Allemagne nazie, Union soviétique). Les concepts modernes de masculinité dans les pays d’Europe centrale avaient ainsi une généalogie spécifique et, pour ainsi dire, (semi)périphérique (Blagojević, 2014) et qu’en raison de ce retard civilisationnel – réel ou imaginé –, ils sont imprégnés de peur et d’incertitude, surtout en période de bouleversements et de transformations, que l’Europe centrale a connu à de nombreuses reprises tout au long du XXe siècle. Il ne serait donc pas exagéré de dire qu’il n’y a pas de masculinité dans la modernité périphérique, mais seulement des crises successives de la masculinité résultant de l’instabilité des institutions sociales et des instances culturelles produisant des idéologies d’hégémonie ou de domination masculine.

Dans ce contexte, la journée d’étude pragoise et le colloque international à Katowice auront pour but de reconnaître comment ces tensions spécifiques entre les concepts culturels et les institutions de l’État ont pu résonner dans les cultures centre-européennes, engendrant des récits, initiant des pratiques et ciselant les fictions dominantes de la masculinité (Silverman, 1992) propres à l’Europe centrale et orientale. Les théories contemporaines de la masculinité nous permettent de passer de l’« être » au « devenir » pour révéler la complexité et la processualité ainsi que l’« incomplétude » inhérente à la notion même de la masculinité.  Ce domaine d’enquête sera au centre de notre : nous allons retracer un sentiment d’incertitude définitionnelle sur ce qu’est la « masculinité » dans la modernité, interroger ses limites et articulations culturelles pour évaluer leur importance de manière historique et prospective à la fois. En reliant cette observation à la position historique des pays de la Mitteleuropa, nous nous interrogerons en particulier aux luttes littéraires et artistiques avec la forme masculine de la modernité au cours de quatre périodes :

  • du développement de l’économie capitaliste dans la seconde moitié du 19e siècle,
  • de l’entre-deux-guerres,
  • de l’ère du socialisme d’État,
  • de la (post)modernité post-transformation.

Journée d’étude et colloque internationaux :
L’événement consistera en une journée d’étude internationale à Prague, les 19 et 20 juin, consacrée à l’état de l’art dans le domaine, aux méthodes et aux orientations de la recherche future, préparant le terrain pour un grand colloque international qui aura lieu à Katowice, les 14 et 15 novembre 2024.

Publication prévue :
https://www.routledge.com/Critical-Studies-of-Men-and-Masculinities/book-series/CSMM

Littérature (sélection) :

  • Masculinities and Literary Studies. Intersections and New Directions, ed. J.M. Armengol et al. New York – London 2017.
  • Berman, Marshall, All That Is Solid Melts Into Air: The Experience of Modernity, New York 1982.
  • Blagojević, Marina, Rethinking Transnational Men: Beyond, Between and Within Nations, London 2013.
  • Corbin, Alain, Courtine, Jean-Jacques et Vigarello, Georges (dir.), Histoire de la virilité, vol. 1-3, Paris, Seuil, 2011.
  • Felski, Rita The Gender of Modernity. Harvard University Press, 1995.
  • Lauretis, de Teresa, Technologies of Gender. Essays on Theory, Film and Literary Studies, Bloomington 1992.
  • Reeser, Todd W., Masculinities in Theory, An Introduction, New York 2011.
  • Rivoal, Haude, La Fabrique des masculinités au travail, Paris, La Dispute, 2021.
  • Sussman, Herbert, Victorian Masculinities: Manhood and Masculine Poetics in Early Victorian Literature and Art , London 1995.
  • Taylor, Nicholas, Voorhoes Gerard, Masculinities at Play, London – New York, 2018.
  • Thomas, Calvin, Male Matters: Masculinity, Anxiety, and the Male Body on the Line, Chicago 1996.