Circulation, anthologisation et formation canonique dans une perspective comparative
Date limite de dépôt des candidatures : 30 novembre 2025
Date : 12-13 mai 2026
Lieu : Bruxelles
Langues : français et anglais
E-mail de contact : clement.dessy@ulb.be
Organisateur.ice.s
Mateusz CHMURSKI, CEFRES/Sorbonne Université
Clément DESSY, FNRS/Université libre de Bruxelles
Ana I. SIMÓN-ALEGRE, Adelphi University, NYC
Les débats autour de la classification des textes comme queer ou LGBTQI+ sont à la fois nombreux et complexes. Vu que la constitution de collections littéraires et de canons soulève souvent des questions fondamentales quant à leurs objectifs et critères sous-jacents, les discussions en ce qui concerne les littératures LGBTQI+ aboutissent bien fréquemment à une impasse, soit en se concentrant sur l’identité sexuelle des auteures — au risque d’essentialiser l’identité et de la confondre avec la valeur esthétique —, soit en se focalisant sur un contenu thématique, qui ne présente pas forcément les communautés LGBTQI+ sous un jour positif ou qui ne place pas nécessairement les personnages LGBTQI+ au centre du récit.
Apparues aux États-Unis au cours des années 1980, les études gays et lesbiennes visaient notamment à faire connaître un corpus littéraire longtemps marginalisé dans les histoires littéraires canoniques. Depuis lors, de nombreuses anthologies ont rassemblé des textes considérés comme gays et/ou lesbiens, couvrant des traditions nationales et transnationales, se concentrant parfois sur des identités sexuelles particulières (par exemple, The Columbia Anthology of Gay Literature [1998], édité par Byrne R.S. Fone, ou The Literature of Lesbianism: A Historical Anthology from Ariosto to Stonewall [2003], édité par Terry Castle), ou encore des périodes historiques ou des genres littéraires (comme la fiction ou la poésie). D’une part, ces anthologies ont contribué à la canonisation d’un corpus d’œuvres qui ont pu jouer un rôle dans la formation des identités à travers les littératures occidentales. De l’autre, la sélection de textes qu’elles contiennent reflète des goûts et des habitudes de lecteurices LGBTQI+, qui ont fait circuler des œuvres à travers des réseaux de lecture informels voire privés bien avant que ces œuvres ne soient pour ainsi dire « canonisées ».
De la fin du XIXe siècle au début du XXe siècle, les petites annonces publiées dans des revues littéraires anglaises, françaises et espagnoles mentionnaient déjà des recherches de livres spécifiques par des particuliers, offrant un aperçu d’une culture littéraire queer commune et transnationale en gestation. Les études sexologiques pionnières ont aussi parfois fait appel à des œuvres fictionnelles et poétiques, qui trouvaient un écho auprès des lecteurices queer. L’ouvrage Studies in the Psychology of Sex (vol. 2, 1900) de Havelock Ellis fait appel à des œuvres issues des littératures anglaise, française et allemande, dont beaucoup restent aujourd’hui encore fondamentales dans les anthologies littéraires queer. Ellis cite principalement des écrivains masculins, tels que A.W. Clarke, Forrest Reid, Xavier Mayne [Edward Prime-Stevenson], André Gide, Rachilde, Georges Eekhoud, Narkissos, Numa Praetorius [Eugen Wilhelm]… Son étude circula largement en Europe, contribuant à l’émergence de discours sur la sexualité et influençant la réception et la classification de la littérature queer dans divers contextes nationaux, comme en Espagne, où il a été lu et débattu par les communautés intellectuelles et médicales. De même, les premiers périodiques queer ont joué un rôle crucial dans la canonisation des littératures LGBTQI+ en sélectionnant des auteurs, des textes et des thèmes qui circulaient au sein de réseaux internationaux émergents : les revues Der Eigene (Allemagne), Akademos (France) et Urania (Royaume-Uni) ont non seulement offert des plateformes rares pour l’expression explicitement queer ou non conforme au genre, mais elles ont également permis l’émergence de communautés de lecture transnationales. Par leurs choix éditoriaux et leurs modes de distribution, ces publications ont constitué un répertoire commun de références qui allait inspirer les anthologies et les histoires littéraires ultérieures.
Malgré l’instabilité des définitions, certains textes restent donc largement reconnus aujourd’hui comme faisant partie de littératures queer, tant par les lecteurices LGBTQI+ que par le grand public. Issus d’une contre-culture formée en opposition au canon littéraire dominant, ces canons alternatifs évoluent constamment, ce qui révèle, d’un côté, la nature intrinsèquement instable des termes employés pour les désigner, mais aussi, d’un autre côté, le principe renouvelé d’interroger les frontières d’une littérature consacrée. Comme en témoignent d’autres récits historiquement minoritaires – de la littérature féminine à la littérature autochtone –, ces ensembles de textes ont également le pouvoir de « contester ou confirmer une histoire plus ou moins consensuelle » (Krupat 1994) en exposant des trajectoires de vie et d’œuvre auparavant marginalisées « à l’âge sombre du nationalisme et de la périodisation » (Stelzig 1992). Mises en place dans des environnements sociopolitiques hostiles, conservateurs ou homophobes, des anthologies peuvent apparaitre comme un outil de résistance (comme en Pologne, par exemple Amenta, Kaliściak, Warkocki 2021), voire comme une réaction directe à des événements politiques (comme en Hongrie, où les auteurs d’une récente anthologie LGBTQI+ la considèrent comme une réponse directe à une nouvelle loi anti-LGBTQ, Kőrössi 2021).
Cet appel à contributions s’inscrit dans le cadre d’un projet CHLEL : Comparative History of Literatures in European Languages, consacré à une histoire comparée des littératures et représentations des personnes LGBTQI+, pour lesquelles la circulation internationale des oeuvres a joué un rôle essentiel dès le XIXe siècle. De la même façon que les mouvements d’émancipation ont longtemps bénéficié du soutien de réseaux transnationaux, les lecteurices et les communautés LGBTQI+ ont bénéficié d’une circulation mondiale de textes, que ce soit parce qu’ils étaient publiés dans des contextes moins restrictifs ou parce que leur distribution impliquait d’emblée une circulation par-delà les frontières.
Partant de l’hypothèse que ces canons ont été façonnés par des liens d’interdépendance entre plusieurs traditions littéraires, et qu’une perspective comparative et internationale est essentielle pour comprendre pleinement leur formation et leur évolution, nous vous invitons à nous soumettre des propositions qui explorent les axes de recherche suivants (sans s’y restreindre) :
Analyses of the historical processes that have shaped the emergence and recognition of LGBTQI+ literatures from a comparative perspective — tracing how such anthologies have evolved over time and across different cultural and geographical contexts.
- les processus historiques qui ont permis l’émergence et la reconnaissance des littératures LGBTQI+ dans une perspective comparée — en retraçant l’évolution d’anthologies ou de corpus au fil du temps et dans différents contextes culturels et géographiques ;
- le rôle de maisons d’édition, de revues et de communautés de lecteurices dans la formation des goûts littéraires et des représentations par-delà les frontières linguistiques et culturelles ;
- les interactions entre bibliothèques queer personnelles, collections privées et/ou institutions publiques au niveau international ;
- les types de représentations littéraires transférables à d’autres contextes culturels ou historiques et, à l’inverse, les stratégies utilisées par les auteurices pour faire émerger de nouvelles formes de représentation ;
- les formes de promotion de représentations plus inclusives par des écrivaines, traducteurices ou lecteurices, en particulier celleux inscrites dans une perspective postcoloniale ou transnationale ;
- des comparaisons entre les origines et les objectifs de différents canons LGBTQI+ à travers les langues et les pays, en explorant comment ceux-ci ont pu avoir été modelés par des contraintes politiques, éducatives, culturelles ou artistiques ;
- des collections ou anthologies queer produites dans des contextes sociopolitiques restrictifs ou hostiles, ainsi que leur contribution au développement de nouvelles histoires littéraires.
Veuillez envoyer votre proposition (300 mots maximum, en anglais ou en français), accompagnée d’une brève note biographique, à l’adresse suivante : https://forms.gle/LaSBAocZkNx47NM88
avant le 30 novembre 2025.
Pour toute question, veuillez contacter : clement.dessy@ulb.be