AAC | Foucault à 100 ans : échos et rencontres en Europe centrale et orientale

Date limite de dépôt des candidatures: 15 Novembre 2025
à l’addresse :
foucault100ece@flu.cas.cz

Date et location:
Prague (1–2 juin 2026) et Varsovie (4–5 juin 2026)

Institutions d’accueil
l’Institute de philosophie de l’Académie tchèque des sciences
Centre français de recherche en sciences sociales en Prague (CEFRES)
Centre de civilisation française et d’études francophones en Pologne (CCFEF)

Comité d’organisation : Mateusz Chmurski, Isabel Jacobs, Jiří Růžička, Radosław Szymański, Laurent Tatarenko

Email de contact : Jiří Růžička, ruzicka@flu.cas.cz

Comment peut-on expliquer un intérêt aussi persistant et aussi global – de l’Europe au Japon en passant par les Etats-Unis et le Brésil – pour la pensée foucaldienne ? Afin de devenir cet éloquent et cet ingénieux critique de l’Occident – auquel il appartenait – et de ses pratiques, Foucault a dû d’abord se confronter aux contours insaisissables de la pensée moderne. En faisant la critique des approches consistant à vouloir dépeindre le sujet comme un simple objet d’études, et en mettant en lumière à la place toutes celles qui cherchaient à percevoir toute la subjectivité des pratiques humaines, il permettait à « l’autre » d’être compris par «l’Occident », mais aussi à l’Occident d’être compris par le reste du monde. Cependant, la relation entre les travaux de Foucault et « l’Occident » – que ce soit au travers de son corpus académique ou de ses différentes approches intellectuelles – est loin d’être unilatérale et ne doit pas être caricaturée.

S’il y a un endroit en particulier où ce rapport ambigüe de Foucault à l’Occident peut être particulièrement interrogé, c’est l’Europe centrale et orientale (ECO), où le philosophe a d’ailleurs résidé plusieurs années au début de sa carrière (il a en effet travaillé sur sa thèse, laquelle sera publiée plus tard sous le titre Histoire de la folie à l’âge classique – Folie et déraison, alors qu’il résidait à Varsovie, en 1958), et où ses travaux ont eu par la suite une influence durable non seulement sur les enseignants mais aussi sur les étudiants. La question reste ouverte cependant : peut-on appliquer, et si oui jusqu’à quel point, les outils conceptuels de Foucault au-delà de ce qui se fait appeler l’Europe Occidentale, laquelle reste l’objet premier de sa réflexion. En d’autres termes, les analyses produites inspirées de Foucault menées en Europe centrale et orientale sont-elles susceptibles d’avoir produit une image déformée de la région ? Mais aussi : en quoi repenser Foucault depuis le point de vue de l’Europe centrale et orientale pourrait-il modifier notre perception à la fois de son œuvre et de ce qu’on appelle « l’Occident » ? Finalement, comment est-ce que la pensée propre de Foucault a-t-elle été façonnée par la pensée centre-européenne et est-européenne lors de sa rencontre personnelle avec cet espace ?

Au cours des trente dernières années, des chercheurs originaires des pays d’Europe centrale et orientale, ainsi que d’autres travaillant sur cette région, ont produit de nombreux ouvrages, articles et études influencés — de manière centrale ou partielle, directe ou médiée — par des perspectives foucaldiennes, qui ont ouvert de nouveaux horizons conceptuels. Beaucoup de ces publications sont devenues des classiques dans leurs disciplines respectives (Mario Todorova, Alexei Yurchak, Stephen Kotkin, Stephen J. Collier, et bien d’autres). Quelles étaient les raisons à la base de cet intérêt ? Comme la popularité de Foucault en ECO coïncidait avec l’avènement de bouleversements politiques majeurs ainsi que de nouveaux défis, peut-on considérer cette réception comme une recherche d’alternatives intellectuelles à des formes de pensée politique officielles au fondement des régimes communistes ? Avait-on l’espoir que la pensée de Foucault apporte de nouvelles perspectives sociales ? Était-il censé inspirer une nouvelle génération d’universitaires d’Europe centrale cherchant à rompre avec la pensée marxiste-léniniste ?

Il semble que les vicissitudes associées à la réception de Foucault dans le contexte centre-européen donne lieu à un paradoxe : bien que Foucault militait contre la construction de systèmes, dans la mesure où il était considéré comme une alternative prometteuse à toutes les formes classiques de théories sociales, il fût lui-même consacré dans les manuels académiques comme le classique de référence des sciences sociales, et dans une plus grande mesure encore en ECO qu’en France. Qui étaient les acteurs intellectuels qui l’ont introduit aux cercles académiques locaux, qui sont ceux qui l’ont traduit ou publié dans les journaux académiques et les manuels ? Quelles étaient leurs intentions ? Notre corpus tend à expliquer de plus le mode de réception particulier de Foucault dans les universités d’Europe centrale, ainsi que dans le discours public et dans les milieux activistes. Quels étaient les intermédiaires, les canaux, et les étapes par lesquels sa pensée a pu pénétrer en Europe centrale ? Et était-ce un Foucault parisien, un Foucault de Berkeley, un Foucault en français, en anglais, en allemand ou en italien ? A-t-il pu être un Foucault plus à la Rabinow ou plus à l’Agamben ?

Quelle que soit la raison de la présence pervasive de Foucault, ce n’est en rien une exagération que de dire que parfois les universitaires locaux se sont appuyés sur ses idées sans même s’en rendre compte. Son influence est tellement profonde sur le discours académique que certains de ses concepts ont émigrés dans différents champs d’études où ils ont été utilisés de façon non critique. A nos yeux, une réflexion plus approfondie des méthodologies et des applications foucaldiennes aux défis propres à l’ECO doit être réalisée. Hegel – l’arch-ennemi philosophique de Foucault, dont il n’a jamais pu échapper à l’influence – affirmait que n’importe quelle méthode digne de ce nom devait dans une certaine mesure suivre l’activité de l’objet lui-même plutôt que de lui imposer un cadre de pensée. Foucault, également, adhérait à cette perspective, adaptant son approche en fonction des problèmes concrets, plutôt que de forcer le réel à rentrer dans des structures prédéterminées. C’est une leçon cruciale à garder à l’esprit lorsque l’on transfère des idées et des concepts d’un contexte social et culturel à l’autre. Alors qu’un tel transfert est certainement possible, le travail transformatif requis est bien moins évident et beaucoup plus exigeant.

A cet égard, le 100e anniversaire de la naissance de Foucault présente l’opportunité unique de revenir sur ses contributions passées, ses développements actuels et les directions futures des approches aux défis de l’Europe centrale et orientale. Du fait que l’événement résulte d’un effort collaboratif entre trois institutions réparties entre deux villes, nous avons décidé de le diviser entre Prague et Varsovie. Les deux premiers jours auront donc lieu à Prague, suivis d’une pause, puis nous continuerons à Varsovie. Cependant, cette division n’est pas seulement spatiale et temporelle mais aussi thématique. Prague accueillera des participants présentant des travaux écrits sur des thèmes tels que l’épistémologie, la philosophie, le genre et l’esthétique, tandis que Varsovie se concentrera sur des discussions entourant le pouvoir, la gouvernementalité et les éthiques.

Nous voudrions notamment discuter tous ensemble, quoi que ce ne soit pas une liste exhaustive, des thématiques suivantes :

  • Réflexions critiques sur comment les concepts foucaldiens (le pouvoir, les biopolitiques, la gouvernementalité) ont été appliqués et transformés par les chercheurs de l’ECO.
  • Évaluations des forces, des limites et des effets des méthodologies foucaldiennes pour interpréter les réalités sociales, politiques et historiques de l’Europe centrale et orientale.
  • Défis méthodologiques pour transférer les concepts foucaldiens dans différents contextes sociaux et culturels.
  • Prospection pour de futurs usages de la pensée de Foucault dans des contextes centre et est-européens : nouveaux champs de recherches, défis émergeants, adaptations conceptuelles…
  • Dialogues et croisements entre les approches de Foucault et les penseurs majeurs de l’Europe centrale et orientale (Gáspár Miklós Tamás, Karel Kosík, Jan Patočka, Witold Kula, Ágnes Heller, Evald Ilyenkov, Zygmunt Bauman, Julia Kristeva).
  • Agents et institutions intellectuelles ayant joué le rôle d’intermédiaires dans la réception de Foucault : traductions, journaux académiques, manuels, discours publics.
  • Comment les traditions intellectuelles d’Europe centrale et orientale pourraient s’opposer, compléter ou transformer les cadres théoriques foucaldiens.
  • Engagement de Foucault par rapport à la division Est-Ouest ; Foucault et la Guerre froide.

La proposition devrait inclure un bref résumé (200 mots max.), un titre, une affiliation, quelques lignes de biographie et si possible une préférence pour le lieu dans les cas où les écrits réalisés renverraient à la fois aux thèmes des deux sous-événements à Prague (Épistémologie, genre et esthétique) et Varsovie (pouvoir, gouvernementalité et éthiques).